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entretien avec simon roussin



parcours

J’ai passé mon BAC à Lyon en Arts appliqués, ensuite
j’ai choisi de faire un BTS communication visuelle — option graphisme, édition, publicité à Nevers à l’EESAB. J’ai ensuite fait les Arts décoratifs de Strasbourg,
en section illustration dirigée par Guillaume Dégé.



pratique du dessin

J’ai toujours dessiné et voulu devenir auteur de bandes dessinées. Entre 8 et 12 ans, j’avais créé un héros, Ludo Flair, et réalisé 7 bandes dessinées autour de lui. C’était des histoires conçues dans des cahiers d’écolier de 24 pages. Je lisais beaucoup d’albums de mon père,
des récits franco-belges. J’inventais mes propres scénarios et dès que j’avais besoin d’une action précise dans une case, comme quelqu’un qui plonge dans l’eau, j’allais chercher une case à recopier dans Tintin
au Congo
ou dans Rick Hochet. Et ainsi de suite...



influences

J’ai commencé à lire avec Tintin et de vieux journaux Spirou. Mes auteurs phares étaient tous issus de la ligne claire franco-belge : Hergé, Jacobs, Tibet (Ric Hochet), Chaland, Tillieux (Gil Jourdan). Des auteurs que
j’ai d’abord perdu de vue pendant mon adolescence avant
de totalement les redécouvrir lors de mes études.
Yves Chaland est peut-être ma référence majeure.



méthode

Je procède avec un crayonné que j’encre ensuite au rotring. Puis je remplis mes formes au feutre (Robin Hood, Lemon Jefferson) ou les scanne et les mets en couleur sur l’ordinateur avec des aplats numériques (Les Aventuriers). Lorsque je travaille sur l’ordinateur, j’essaye toujours de me limiter à deux ou trois couleurs pour jouer avec les superpositions, je retire ensuite le trait du dessin d’origine pour ne plus avoir de contours ; sauf à certains endroits pour signaler des détails comme les pliures des vêtements ou les rainures d’un tronc d’arbre...



comment as-tu abordé la conception d’un livre illustré adressé d’abord aux enfants?

Je ne pensais pas pouvoir réaliser un livre pour enfants au début. L’idée de me censurer et de faire attention
aux idées et aux sentiments que je souhaitais exprimer
me dérangeait. Et puis je me suis rendu compte naturellement que mes histoires s’adressent autant
aux adultes qu’aux enfants, comme celles que je pouvais lire autrefois.

Sur Les Aventuriers, l’histoire et les images me sont venus sans faire de tri. Mes bandes dessinées sont peut-être plus sombres et le fond du propos davantage dirigé vers les adultes, mais elles ne leur sont pas exclusivement réservés.



Je crois que les noms des protagonistes sont inspirés
de tes propres héros?


Oui, pour Les Aventuriers, je trouvais amusant de donner
à mes personnages des prénoms de héros que j’apprécie.
Il y a Arsène pour Arsène Lupin, Joseph pour Joseph Rouletabille, Jeanne pour Calamity Jane et Daniel pour Daniel Dravot, le héros de L’homme qui voulut être roi
de Kipling.



Tes récits donnent souvent la sensation d’une certaine ironie vis-à-vis des situations et des personnages, de leur traitement désuet.

Je fais très attention à ne pas tomber dans la parodie.
La parodie seule, le détournement par la moquerie ou
la dérision ne m’intéressent pas. Bien sûr, je m’approprie des figures existantes, des personnages ou des situations très codifiés, mais c’est en les assumant, en leur faisant vivre de nouvelles choses. La distance que je garde avec mes personnages et les épreuves que je leur fais traverser me permet de les malmener, de projeter tout ce que je
veux en eux.


Un mélange entre Enyd Blyton, Walter Scott, Hergé
et John Huston?


L’idée au départ était de faire un récit dans la lignée des Aventures du club des Cinq ou du Clan des Sept, toutes ces histoires d’aventures de la Bibliothèque rose et verte que je lisais enfant. J’aime l’idée d’un groupe, d’une bande, avec des personnalités très différentes qui
se complètent. Je voulais aussi confronter des enfants
à une aventure qui les mettra face à des choix d’adultes :
la trahison, l’abandon, la loyauté...



Selon Huston, ce qui importe c’est l’aventure
en elle-même, plus que le but qu’elle poursuit.
Que t’inspire cette réflexion ?


J’admire beaucoup le cinéma de John Huston. Le cinéma
de l’échec ! Tous ses héros sont entraînés dans une spirale tragique, ils brillent dans leur chute.
C’est vrai que mes histoires se terminent souvent mal, même un happy end, comme dans Les Aventuriers, sera teinté d’amertume. J’aime l’idée qu’une aventure transforme
un personnage, le malmène, lui laisse des séquelles,
il ne peut en ressortir inchangé. J’attache plus d’importance aux choix, aux épreuves qu’un personnage trouvera sur sa route, ces choix qui vont le construire
et le remettre en question.


Ta fibre cinéphile apparaît largement dans ton travail, peux-tu nous parler de ton rapport au cinéma et de
tes références?


J’ai découvert le cinéma très tôt, d’abord parce que
mes parents me faisaient regarder des films qu’ils aimaient. De vieux films de cape et d’épée, les films français des années 60-70 dialogués par Michel Audiard, des Hitchcock, des Woody Allen, beaucoup de westerns aussi. J’avais une admiration sans borne pour Steve McQueen, Jean Paul Belmondo, Lino Ventura, Paul Newman
ou Clint Eastwood. Je découpais tout ce que je trouvais, des critiques de films, des images d’extraits,
des affiches, je classais tout ça de manière studieuse dans un classeur. J’adorais le cinéma américain des années 60, celui d’Arthur Penn ou de Sam Peckinpah.

Plus tard, je découvrais le nouvel Hollywood, les films
de Martin Scorsese, Brian de Palma. Et puis du côté français, la nouvelle vague, À bout de souffle, Pierrot
le fou
, les films de François Truffaut...

Il y a un film que je mets au dessus de tous : Il était une fois en Amérique, le dernier film de Sergio Leone. J’ai l’habitude de dire ça de chaque grand film, mais j’ai un rapport assez étrange avec celui-ci. Je l’ai vu pour la première fois aux alentours de 16 ans je pense, et depuis, je me dois de le voir au moins une fois par an. Ce film brasse tout, c’est une grande histoire d’amitié, une belle histoire d’amour, un film sur l’enfance et le temps qui passe, tout cela dans le répertoire très codifié du film
de gangsters américains pendant la prohibition. Je trouve qu’il n’y a rien qui a été fait de plus grandiose, lyrique, intime et tragique depuis.



Vers quoi désires-tu progresser dans tes prochains
livres ? Penses tu continuer à explorer le récit
de genre et d’aventures?


C’est une question que je me pose régulièrement, car
j’ai très peur de l’ennui dans ce métier. Pour l’instant,
me reposer sur le récit de genre me permet de raconter
des choses différentes, pour les enfants ou pour les adultes, dans des contextes variés. Je suis très attaché au récit de genre, d’aventure, parce qu’il représente
pour moi mes premières lectures, mes premières jubilations
de lecteur. Ce sont elles que j’essaye de retrouver
en inventant une nouvelle histoire.



Quel est ton rapport au livre papier?

Les images n’existent vraiment que si elles sont imprimées. Le choix du papier, des encres, du format importe autant que le choix de l’histoire ou de la technique utilisée. J’aime l’aspect tactile d’un livre, son poids, l’odeur du papier, le transporter au fond
d’une valise ou dans la poche intérieure d’un manteau.
Je me souviens encore de la texture, des feuilles
déchirées des vieilles bande dessinée de mon père.
Le papier rend les choses palpables, durables.



propos reccueillis par
JM

01/2012

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